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Père Jean Sinsin Bayo : « Nous sommes en train de paganiser notre christianisme sans le vouloir »

Written by on 25 juin 2018

Père Jean Sinsin Bayo / Crédit : Guy Aimé Eblotié

Le père Jean Sinsin Bayo est théologien ivoirien, aumônier national des cadres catholiques de Côte d’Ivoire.
Dans cet entretien avec la Croix Africa, il explique le concept d’inculturation et ses implications dans la vie du chrétien africain moderne
.

La Croix Africa : Qu’est-ce que l’inculturation ?

Père Jean Sinsin Bayo : L’inculturation est une réalité très complexe qui nous ramène pour l’essentiel à mettre en lien l’événement de l’incarnation de Jésus et qui, aujourd’hui, se prolonge par l’évangélisation. C’est-à-dire la mise en lien entre l’avènement de Jésus, son accueil par nous et son impact dans notre vie et notre culture. Cela revient à introduire la parole de Dieu, l’événement christique dans notre manière de découvrir le monde. Découvrir ce que nos cultures et traditions voulaient exprimer et que le Christ, Fils de Dieu, révèle dans toute sa profondeur.

La Croix Africa : Quelles sont les grandes étapes de l’histoire l’inculturation ?

Père Jean Sinsin Bayo : La compréhension de l’inculturation a connu des étapes différentes étapes.

La première est celle de la reconnaissance de l’Afrique dans l’avènement de Dieu et dans nos cultures sous la forme de la révélation chrétienne. Nous pouvons la dater par la publication du livre collectif Des prêtres noirs s’interrogent (1). Toute la problématique qui a été posée est propre à la décolonisation et à la négritude. Il s’agit de la reconnaissance de l’homme noir face à ce qui vient de l’Occident. L’idée qui est véhiculée est que les noirs eux aussi sont des enfants de Dieu et en tant que tels, doivent être pris en compte dans leurs valeurs et qu’ils peuvent créer un christianisme qui leur soit propre. C’est une étape importante qui nous ramène au fait que si le fils de Dieu est devenu homme, il établit et rétablit chaque peuple et chaque homme dans sa dignité originelle en tant que venant de Dieu.

La deuxième étape est la mise en application de cette africanisation du christianisme. Dans cette étape, on prend des éléments africains de la culture qu’on introduit dans l’expression de la foi. Une forme de christianisme qui vient de l’Occident mais qui est tropicalisé en introduisant des aspects de la culture africaine, par exemple le tam-tam ou la danse. On donne un visage africain qui est extérieur à l’expression de la foi telle que nous l’avons reçue. C’est un aspect important qui met en lumière que nous sommes des êtres marqués par une extériorité qui s’exprime par la danse ou encore le tam-tam. Mais cet aspect a encore besoin d’être approfondi car il donne l’impression d’un christianisme « mosaïque » marqué par l’humanité et le génie culturel de l’Afrique.

La troisième étape est celle de la réflexion du mystère chrétien à partir de l’Afrique. La question qui se pose ici est : si nous allons à Jésus-Christ, qu’est-ce qu’il vient faire pour et avec nous ? C’est la question du salut. Il s’agit non seulement l’intégration de notre génie culturel mais aussi l’expression des problèmes de l’Afrique qui n’ont peut-être pas été pris en compte par la première évangélisation. Il s’agit des questions de fond : le diable, les sorciers, les revenants. En somme, toutes les problématiques de l’existence humaine en Afrique et qui ont fait que l’Africain ne s’est pas senti pris en compte dans ses questions existentielles, ses aspirations de vie.

Cette troisième étape a encore d’autres implications. Elle est visible dans l’effort pastoral des communautés nouvelles, attentives à la sorcellerie, aux envoûtements, à la souffrance, du monde invisible et du monde maléfique. On lit les Évangiles en se disant la manière dont Jésus a lutté contre le diable prouve qu’il venu en Afrique pour vaincre le mal. Il s’agit de permettre à Jésus d’être celui qui nous sauve et qui a réponse à tout.

La Croix Africa : Cette troisième étape ne risque-t-elle pas de faire sombrer les Africains dans le syncrétisme religieux ?

Père Jean Sinsin Bayo : L’insuffisance de cette compréhension est effectivement que nous pouvons réveiller dans cet élan, le réflexe de nos religions traditionnelles qui ne sont pas des religions de conversion mais des religions d’utilisation des esprits. Aujourd’hui, l’on a l’impression, notamment en observant ce qui se fait dans les prières d’évangélisation organisées par les communautés nouvelles, qu’on a fait, dans le christianisme africain naissant, le transfert des réflexes païens, une sorte de paganisme, de fétichisme. On va aux prières d’évangélisation juste pour que les porteurs charismes, modérateurs et autres puissent résoudre les problèmes, chasser les démons. Nous sommes en train de paganiser notre christianisme sans le vouloir.

La véritable question qui se pose et qui doit nous mener à une réflexion et à une action pastorale, est de savoir ce que nous cherchons. Qu’est-ce qui est recherché, au-delà d’un mari, de la guérison, de la richesse ? Nous devons conduire à Jésus-Christ. L’inculturation, c’est introduire dans la vie de l’homme africain, avec ce qu’il est et ce qu’il a, la culture de Jésus pour qu’il retrouve son identité originelle.

Source: La Croix Africa


(1) En 1956, aux éditions du Cerf.


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